Rénovation de l’hôtel de ville : mutilations, bétonisation en perspective
Suite à l’incendie qui a ravagé la toiture de l’Hôtel de ville en novembre 2019, l’architecte Pierre-Louis Faloci a été choisi par appel d’offres pour restaurer l’hôtel de ville.
Les premières perspectives dévoilées de son projet étaient pour le moins inquiétantes au regard de la nécessité de conservation de ce prestigieux patrimoine annécien. Le permis de construire signé le 18 juillet 2023 n’a fait que confirmer nos craintes….
Un peu d’histoire
C’est en 1841 que l’architecte genevois Samuel Vaucher-Crémieux a été mandaté pour la construction d’un nouvel hôtel de ville sur l’ancien clos Lombard. Il en élabore les premiers plans en mai 1842. Mais le projet est jugé trop ambitieux au regard des finances de la Ville. L’ingénieur François Justin est alors désigné pour le remplacer et présente des plans directement inspirés de ceux de son confrère genevois. Le projet est adopté le 23 juillet 1846, les travaux vont commencer en 1847.
Presque deux siècles plus tard Pierre-Louis Faloci va s’atteler à la « restauration» de l’édifice de fond en comble…
Des choix architecturaux en totale contradiction avec l’architecture néo-classique de l’édifice municipal
Façades de la cour intérieure. La façade est remplacée par une structure en béton, les 3 autres façades verront leur étage supérieur arasé et remplacé par des piliers de béton.
Si notre architecte mène depuis longtemps une réflexion subtile sur le regard et le paysage, les plans de sa demande de permis de construire réservent bien des surprises. On aurait aimé plus de discrétion de sa part dans ce secteur historique. Certes, l’état dégradé de l’intérieur du bâtiment permet une refonte presque totale de l’aménagement intérieur et, on l’espère, plus optimale de l’espace. Des éléments historiques, comme le bel escalier d’honneur, le grand salon ainsi que la galerie seront restaurés à l’identique. La nouvelle salle du conseil disposera d’une mezzanine pour le public.
Parmi les 92 projets présentés certains, comme celui-ci, étaient plus respectueux du site
Mais, hélas des choix architecturaux, en complète contradiction avec le style néo-classique, vont porter gravement atteinte à l’esprit des lieux. Alors qu’un architecte appelé à restaurer un monument chargé d’histoire devrait aborder sa mission avec humilité et un grand souci de continuité, Monsieur Faloci espère marquer de son empreinte l’illustre et vénérable bâtiment.
Ainsi l’architecte a prévu :
– La démolition partielle ou quasi complète des façades de la cour intérieure remplacée par des structures en béton dont le style sera en totale contradiction avec celui d’origine.
– La création d’une immense ouverture vitrée d’une longueur de 18 m côté parc en totale discordance avec le style d’origine et bien éloignées des élégantes jacobines disparues pendant l’incendie. Cette excroissance est pompeusement désignée comme un « Belvédère côté parc : à l’est, face au parc, en écho au fronton du parvis, un volume rectangulaire émerge de la toiture »
« Au dernier niveau, le soulèvement d’un mètre de la toiture permet la mise en place d’un bandeau filant vitré permettant l’éclairement les bureaux du dernier niveau ».
Vue axonométrique du décroché de toiture
La toiture d’origine à deux pans sera modifiée avec un décroché d’une hauteur de 2,9 m et fera plutôt pensé à la toiture d’un immeuble médiocre de promotion immobilière.
Par ces transformations inadaptées, l’architecte a souhaité laisser sa marque
Tous ces rajouts plaqués sur une architecture néo-classique font perdre au mémorable édifice municipal, et surtout à sa cour, son unité et son harmonie. C’est avec grande humilité, en respectant le travail de ses anciens que l’architecte du XXI e s. se devait d’ intervenir.
Certains rétorqueront qu’il faut «être de son temps », que nous sommes au XXIe s., certes, mais que dirait-on, toute proportion gardée, si on modifiait avec le même zèle moderniste et avec autant d’irrespect le château de Versailles ou la Cour intérieure des Invalides
Des règles à respecter dans ce secteur !
Il se trouve, justement, que, pour éviter la multiplication de transformations trop intempestives, Annecy s’est doté en 2013 d’une AVAP (aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine). Son règlement impose que l’on mette des garde-fous à la recherche à tout prix du « fonctionnel » qui fait fi de la beauté et de l’esthétique.
Notre altier et fier hôtel de ville se trouve dans ce secteur sauvegardé (AV3), il a été identifié comme « édifice remarquable » et bénéficie ainsi de protections comparables à celles des monuments historiques !
Le règlement de l’AVAP Secteur AV 3 pose des règles qui doivent être respectées. En voici quelques extraits.
« Edifices remarquables […] répertoriés sur la carte du patrimoine : ils seront conservés et restaurés, leur démolition est interdite »
« Edifices remarquables […]r épertoriés sur la carte du patrimoine : la surélévation et/ou l’extension sera traitée au cas par cas et sera accordée en fonction du projet présenté. Elle pourra être refusée si l’intégrité du bâtiment est mise en cause ».
« Les toitures existantes seront conservées dans le respect des dispositions originelles, des pentes, des matériaux et des accessoires de toiture.
Les changements de pentes et de forme ne seront pas autorisés ».
« Les lucarnes seront conservées dans leur forme et leurs dimensions ou reconstituées à l’identique. Nouvelles lucarnes ou lucarnes refaites :
Elles devront rester en pleine toiture et ne pas interrompre la ligne d’égout. Pour les bâtiments ordonnancés elles doivent s’inscrire dans l’axe vertical des ouvertures de la façade qu’elles prolongent.
[…] Interdit : les lucarnes doubles, les lucarnes dont les proportions ne respectent pas celles de la façade ». […]
« Les terrasses créées dans les pentes de toit et les terrasses en excroissance sont interdites ».
« Conserver l’ornementation de la façade, les différents décors en relief (chaînes d’angle, bandeaux saillants, encadrements moulurés, appuis saillants, modénatures de briques.
….quand on voit sur les plans de permis de construire ce qu’il reste des façades intérieures, on ne peut être que dubitatif !
« Aucune disposition ancienne ne sera modifiée.
Les façades ordonnancées n’auront pas de nouveau percement (les fenêtres obturées ou manquantes peuvent être rouvertes). […]
A l’exception des balcons toute construction en excroissance est interdite ».
Que vont penser les Annéciens d’un maire, garant de la Loi, qui ne respecte pas les règles d’urbanisme pour sa propre mairie ?